Condamnation du couple Fillon confirmée par la Cour de cassation : « François Fillon a sous-estimé l'efficacité de la machine judiciaire mise en place par François Hollande », analyse Me Hervé Lehman

→ Оригинал (без защиты от корпорастов) | Изображения из статьи: [1]

Politique

ENTRETIEN. Ce mercredi 24 avril, la Cour de cassation a confirmé le jugement de la cour d'appel de Paris qui avait condamné François Fillon, son épouse Pénélope et son suppléant Marc Joulaud dans l'affaire dite des "emplois fictifs". Ancien juge d'instruction, avocat au barreau de Paris et auteur du Procès Fillon (Editions du Cerf), Me Hervé Lehman analyse les causes et les effets de cet arrêt qui vient clore le "PenelopeGate", perturbateur majeur de l'élection présidentielle de 2017.

Publié le 25 avril 2024 à 13h00

Dernier recours pour le couple Fillon et Marc Joulaud : la Cour européenne des Droits de l'Homme. ©ACCORSINI JEANNE/SIPA

Valeurs actuelles. Sur quels fondements la Cour de cassation s'est-elle appuyée pour valider le jugement d'appel du 9 mai 2022 ? Comment analyser cette décision ?

Hervé Lehman. L'arrêt de la Cour de cassation est une mauvaise surprise pour François Fillon. La Cour avait accepté de saisir le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) parce que François Fillon n'avait pas pu faire valoir devant la Cour d'appel les révélations du procureur national financier, Eliane Houlette, faites devant une commission d'enquête parlementaire après la clôture de l'instruction.  Le Conseil constitutionnel avait donné raison à François Fillon en considérant que ce refus était une atteinte aux droits de la défense, ce qui laissait prévoir une cassation de l'arrêt de condamnation. Contre toute attente, et toute logique par rapport à sa propre décision de saisir le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation considère que cette question est finalement sans intérêt puisque la cour d'appel avait dit que ces révélations ne changeaient rien à l'affaire. 

A LIRE 

Affaire Fillon : l'ancien Premier ministre définitivement reconnu coupable, nouveau procès en vue

Rappelons l'importance de ces révélations : la procureure générale, nommée par François Hollande et ancienne du cabinet de Ségolène Royal, avait fait pression sur le procureur national financier et ordonné, contre la position de celui-ci, d'ouvrir une information judiciaire, ce qui a permis la mise en examen de François Fillon avant la présidentielle de 2017. Le juge d'instruction avait également été soigneusement choisi par le président du tribunal de Paris, ancien du même cabinet ministériel et ancien militant du Syndicat de la magistrature, nommé par le même François Hollande, pour aboutir à cette mise en examen précipitée, qui a coûté la victoire au candidat de la droite, et a donc changé l'Histoire de France.

La Cour a néanmoins ordonné la redéfinition des peines. Pourquoi ? À quoi peut-on s'attendre ?

Je ne sais pas s'il faut le comprendre comme un lot de consolation ou comme la volonté de paraître équilibrée. La Cour de cassation a cassé partiellement l'arrêt de la cour d'appel parce qu'il n'avait pas motivé expressément la peine de prison pour partie ferme de François Fillon. Il n'est pas dit que François Fillon sera moins condamné par la cour de renvoi ; il est juste demandé aux juges d'écrire expressément pourquoi une peine ferme est indispensable. C'est l'occasion de redécouvrir que c'est le législateur, depuis François Hollande et Christiane Taubira, qui impose expressément aux juges de ne prononcer des peines d'emprisonnement ferme qu'« en dernier recours, si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable »

Le mal est fait depuis la mise en examen quelques semaines avant l'élection présidentielle

A propos de recours : y en a-t-il encore pour l'ancien Premier ministre ?

Il ne reste à François Fillon que la Cour européenne des droits de l'homme, qui pourrait avoir une lecture différente de celle de la Cour de cassation de cette procédure tellement politique. Mais le recours n'est pas suspensif, et cela sera long. Et puis le mal est fait depuis la mise en examen quelques semaines avant l'élection présidentielle de celui qui avait eu l'imprudence de dire « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » et « Je ne me retirerai de l'élection présidentielle que si je suis mis en examen », sous-estimant l'efficacité de la machine judiciaire mise en place par François Hollande.

A LIRE 

François Fillon : « Nous avons refusé de voir monter le danger totalitaire islamique »

Cette décision constitue-t-elle un tournant dans la judiciarisation de la vie politique ?

C'est plutôt une continuité. S'il y a eu un tournant, ce serait dans le traitement de l'affaire du Covid : pendant la pandémie, alors que le gouvernement était au travail, les juges perquisitionnaient les ministères et les domiciles des ministres et mettaient en examen l'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Là, on était au paroxysme de la judiciarisation de l'action du gouvernement. La Cour de cassation a mis un coup de frein en annulant cette mise en examen, mais il est trop tôt pour dire si c'est un coup d'arrêt définitif. Pour le reste, les anciens présidents de la République Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont été condamnés, les anciens premiers ministres Alain Juppé et François Fillon ont été condamnés tandis que trois autres, Laurent Fabius, Dominique de Villepin et Edouard Balladur ont été poursuivis avant d'être relaxés. Et la liste des ministres, maires, présidents de collectivités territoriales poursuivis ressemblerait à un annuaire téléphonique ! Ce qui est étonnant, c'est le sentiment populaire, malgré cela, que les politiques seraient protégés.

Peut-on y voir le reflet d'une époque qui ne jure que par « l'exemplarité et la transparence » des responsables politiques ?

Le XXIe siècle nous a dotés de trois fléaux : la transparence, la délation - les balances sont devenus des lanceurs d'alerte - et l'imprescriptibilité. Nous sommes tous dans une maison de verre, à nous dénoncer les uns les autres, sans jamais pouvoir espérer l'oubli ou le pardon. Le résultat est contre-productif : les citoyens sont de plus en plus nombreux à considérer que les responsables politiques sont « pourris ». Dire que les responsables politiques devraient être exemplaires est très joli, mais ce sont des hommes et des femmes comme les autres, comme les juges, les avocats ou les journalistes qui ne sont pas toujours exemplaires. L'important est de fixer des lignes rouges claires, ce qui est de moins en moins le cas parce les lois pénales sont de plus en plus confuses et laissent ainsi toute liberté d'interprétation aux juges, qui en viennent à juger plus selon leur morale que selon le droit.