Les parents ont-ils vraiment le droit de fouiller dans le téléphone portable de leur ado ?

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La loi inscrit le principe du respect du droit à la vie privée pour les enfants. Mais elle requiert aussi l'obligation aux parents d'assurer la sécurité de leur progéniture.

L'article 16 de la Convention internationale des droits de l'enfant précise que « nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ». (evgeniia_1010 / AdobeStock)

Par Laurène Fertin Publié le 25 Avr 24 à 19:46  

« Parents, l'autorité, c'est vous ! Vous pouvez fouiller dans le téléphone (…) de votre enfant pour le protéger ». Face à la « délinquance des jeunes », fer de lance actuel du gouvernement, la secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté et de la Ville Sabrina Agresti-Roubache, a émis quelques propositions.

Et celle, notamment, d'avoir un droit de regard en tant que parents sur les activités qui se trament à l'intérieur des smartphones de leurs enfants et adolescents. « Quelque chose qui me frappe ces dernières années, c'est de penser qu'un adolescent a une vie privée« , s'est d'ailleurs étonnée Sabrina Agresti-Roubache sur le plateau de Telematin, mardi 23 avril 2024. 

L'injonction « à se mêler » des affaires de notre progéniture est expressément requise. Mais elle soulève des questions éducatives et morales (peut-on faire ça ?), mais aussi juridiques (a-t-on le droit de faire ça ?). Que faut-il en retenir ?

Que dit la loi ?

« La loi consacre à plusieurs reprises le principe du respect à la vie privée », débute Marine de la Clergerie, avocate spécialiste en droit numérique, jointe par actu.fr :

  • Dans le Code civil à l'article 9 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » ; 
  • Dans le Code pénal aux articles 226-1 à 226-32 : « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui  » par exemple « en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » ;
  • Dans la Convention internationale des droits de l'enfant qui rappelle, à l'article 16 que « nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ».

Si l'on se réfère aux textes de loi, interférer dans le smartphone de nos enfants et de nos adolescents est, a priori, interdit. Mais la législation consacre aussi un autre principe : celui du devoir de sécurité des parents envers leur progéniture. 

« Pas la maturité nécessaire »

« Il faut quand même protéger les enfants des risques qu'ils peuvent rencontrer », abonde Marine de la Clergerie, car « le droit à la vie privée dépend aussi de l'âge des enfants et de leur maturité »', nuance-t-elle.

L'article 371-1 du Code civil le précise bien : « les parents ont un devoir de sécurité », appuie la spécialiste.

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[L'autorité parentale] appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.

Si l'enfant a un portable en primaire, « il n'a pas la maturité nécessaire pour savoir ce qui est bien ou pas bien - surtout quand on sait que le contrôle de l'âge n'est pas effectif, par exemple, sur les sites pornographiques », précise Marine de la Clergerie. 

Autrement dit, regarder dans le téléphone portable de son enfant n'est pas prohibé à partir du moment où découle une obligation de protection envers celui-ci. « Un travail de sensibilisation est toutefois à faire sur les risques que l'on peut rencontrer », indique l'avocate.

Par exemple, peu d'enfants ou d'adolescents savent que relayer une vidéo d'une personne victime d'un tabassage est un fait illicite, puni par la loi.

« Une forme d'intrusion violente »

Si la loi confère le droit de pouvoir regarder le téléphone des enfants et des ados aux parents - afin d'en assurer la sécurité -, reste à savoir comment cette activité est perçue par les premiers concernés. Surtout lorsqu'ils n'ont pas été concertés.

« C'est une forme d'intrusion violente qui accentue le sentiment de contrôle et de persécution chez des jeunes gens à qui on demande de plus en plus d'autonomie et de responsabilisation », répond à actu.fr Patrick-Ange Raoult, psychologue clinicien et membre du Syndicat national des psychologues (SNJ).

Car le contrat de confiance entre l'adulte et l'enfant est rompu. Ce qui n'est pas sans conséquence.

Les adolescents sont très habiles pour adopter des stratégies fines de dissimulation et de mensonges. Ils iront sur d'autres canaux pour transgresser la règle et trouver ce qu'ils cherchent ailleurs.

Poser une règle éducative avec des limites

La solution ? « C'est une question de nuances », avance Patrick-Ange Raoult, pour qui il faut poser cela comme une règle éducative avec des limites.

« Soit c'est le régime de la terreur [en fouillant sans autorisation, NDLR.], soit on essaie de construire des jeunes gens plutôt responsables » en ayant un accord consenti entre l'adulte et l'adolescent sur la consultation des écrans.

C'est d'ailleurs un autre élément, lui aussi important, évoqué dans l'article 371-1 du Code civil : « Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

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