35e Nuit des Molières : « Pauvre Bitos », « Le Repas des fauves », « Cyrano »… Les critiques du JDD des pièces nommées

→ Оригинал (без защиты от корпорастов) | Изображения из статьи: [1] [2]

Maxime d'Aboville dans « Pauvre Bitos » (à gauche) et Thierry Frémont (au centre, avec Jérémy Prévost à droite), dans « Le Repas des fauves », nommés aux Molières © Théâtre Hébertot

La 35e Nuit des Molières se tient ce soir aux Folies Bergère (Paris, 9e), avec l'humoriste Caroline Vigneaux pour maîtresse de cérémonie. À l'occasion de la soirée annuelle des récompenses du théâtre français, retransmise à partir de 21 h 10 sur France 2 - en différé pour parer à d'éventuels incidents - tour d'horizon des nommés que le JDD avait évoqués dans ses colonnes.

Pour le Molière du meilleur comédien dans un spectacle du théâtre privé, Vincent Dedienne (Un chapeau de paille d'Italie) et Stéphane Freiss (Le Cercle des poètes disparus, pièce qui cumule six nominations) sont nommés aux côtés des deux têtes d'affiche des succès du moment au théâtre Hébertot : Maxime d'Aboville, époustouflant en Pauvre Bitos éponyme de la pièce cinglante de Jean Anouilh, et Thierry Frémont, hilarant en collabo orfèvre de lâcheté dans Le Repas des fauves.

La suite après cette publicité

Le JDD, qui les a réunis pour un entretien croisé exceptionnel paru ce dimanche 5 mai, vous invite à retrouver les critiques parues dans ses éditions papier du 25 février et du 7 janvier. Les deux pièces à succès sont prolongées jusqu'au 15 juin au théâtre Hébertot.

La suite après cette publicité

Pauvre Bitos, le dîner de têtes

« - Mon amour, ce soir, nous sommes là pour rire. La charité, ce sera pour demain matin, en sortant de la grand-messe. Je vous promets de vider mes poches aux quatre fripouilles que je vois sur le parvis à la même place depuis vingt ans. »

Un nobliau de province, Maxime de Jaucourt (Adrien Melin, resplendissant de cruauté), ne se tient plus de joie mauvaise au moment de recevoir, dans les vestiges d'un ancien prieuré promis à la vente, ses amis de la bonne société d'une ville de province pour un dîner de têtes sur le thème de la Révolution française. D'habitude, on s'y amuse, mais ce soir, comme sous la Terreur, si on vous coupe la parole, on vous coupera peut-être la tête…

La suite après cette publicité

La suite après cette publicité

Rapidement, le dîner de cons vire au jeu de massacre. La cible, c'est André Bitos, « le fils de la blanchisseuse qui lavait les draps du collège », nouveau substitut du procureur de la République, aussi froid et tranchant qu'une guillotine qui tombe sur le cou d'un condamné. Ses anciens condisciples issus de familles riches l'appelaient le « petit boursier cafard ». Maxime s'est fait la tête de Saint-Just. Ses autres invités celles de Danton, Mirabeau, Marie-Antoinette, Camille et Lucile Desmoulins.

Quant à Bitos, éblouissant Maxime d'Aboville qui tient certainement le rôle de sa vie, il s'est naturellement déguisé en Robespierre. « Jouer les humiliés, c'est ton emploi », lui avait prédit Jean-Laurent Cochet, son professeur d'art dramatique. Un rôle qu'il endosse à merveille. Quand on lui dit bonjour, il menace, lorsqu'on l'attaque, il pleure et, si on le plaint, il mord. Pauvre Bitos que personne n'aime. Il faut imaginer un personnage de bouffon hystérique et malheureux à mi-chemin entre Sandrine Rousseau et Louis Boyard, décrétant la mort de Danton, l'homme qui boit, baise et bouffe comme un « porc ».

Créée en 1959, la pièce, allégée d'une bonne heure, n'a rien perdu de son pouvoir de scandale ni de son actualité : soixante-cinq ans plus tard, les idéologues ont les mêmes rêves de purification de l'humanité. Avec Jean Anouilh, le grand misanthrope, personne ne sort indemne du jeu de massacre : ni les pauvres ni les riches, ni la droite ni la gauche. Et c'est ainsi que Jean Anouilh est le plus grand dramaturge français de la fin du XXe siècle… ♦ Pascal Meynadier

Le Repas des fauves

Deux soldats allemands sont tués sous les fenêtres d'un dîner d'amis, en 1942, à Paris. En représailles, un officier de la Gestapo réclame deux otages, mais laisse aux convives la terrible liberté de les désigner eux-mêmes… Passée une mise en place un peu molle, cette reprise d'un succès déploie crescendo un humour corrosif, entre Le Prénom et Douze hommes en colère. On rit des hypocrisies qui se délitent, on frémit de la lâcheté qui les déchire. Du pire d'entre eux (Thierry Frémont, parfait salaud), à la moins compromise (Stéphanie Hédin, très juste), des acteurs formidables font de ce huis clos féroce un petit festin. ♦ Humbert Angleys

C'est pas facile d'être heureux quand on va mal

C'est pas facile d'être heureux quand on va mal, de Rudy Milstein, est nommée pour le Molière de la comédie. « La mise en scène de l'auteur et de Nicolas Lumbreras est d'une telle efficacité et d'une telle originalité qu'elle parvient à faire oublier la vacuité de cette comédie aigre-douce », avait jugé le JDD.

Molière, le spectacle musical

Molière aux Molières ! La création de Ladislas Chollet, déjà récompensé de nombreuses fois, portait déjà le nom de la récompense : Molière, le spectacle musical est donc logiquement en lice pour… le Molière du spectacle musical.

« J'ai essayé d'inventer un Molière qui ne sait pas qu'il est Molière. Il le découvre en même temps qu'il le devient », avait confié le metteur en scène à Ludovic Perrin.

Kessel, la liberté à tout prix

Kessel, la liberté à tout prix a triomphé au Lucernaire et obtient une nomination au Molière du seul en scène : « Du fracas de l'Histoire aux failles d'une vie d'excès, Franck Desmedt, habité, incarne avec ardeur un Kessel brûlant de sa passion du monde et des hommes », avait salué le JDD.

Cyrano de Bergerac

Laurent Lafitte quitte la Comédie-Française : son départ a été officialisé à l'issue de la dernière représentation de Cyrano de Bergerac, il y a une semaine. Après douze ans comme pensionnaire de la maison de Molière, il pourrait partir avec le trophée du même nom, en meilleur comédien pour un spectacle de théâtre public.

Laurent Stocker, qui lui donne la réplique en Ragueneau, le pâtissier des poètes, est aussi nommé, pour le Molière du meilleur second rôle. La mise en scène kitsch de la plus fameuse « comédie héroïque » du théâtre français n'avait pas convaincu le JDD, qui y avait vu « une parodie sans panache ».

On lui avait préféré l'adaptation fidèle et enlevée de la compagnie du Grenier de Babouchka. Une mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, qui a aussi écrit et mis en scène Le Huitième Ciel, pièce dans laquelle Charlotte Matzneff - qui interprétait Roxane (en alternance) dans son Cyrano - est nommée pour le Molière de la meilleure comédienne dans un second rôle.

James Brown mettait des bigoudis

Elle fera face à Josiane Stoléru, nommée pour sa prestation dans James Brown mettait des bigoudis, de Yasmina Reza. La célèbre dramaturge « signe un petit miracle d'ambivalence, tire le fil d'une comédie noire à la manière d'une funambule qui jamais ne tombe dans les travers d'une pièce à charge ou à décharge », avait savouré Éric Naulleau.

Je m'appelle Asher Lev

Hannah-Jazz Mertens met en scène au théâtre des Béliers parisiens l'adaptation française de la pièce à succès d'Aaron Posner tirée du roman de Chaïm Potok. Martin Karmann, brillant interprète d'Asher Lev (en alternance avec Benoît Chauvin), est nommé pour le Molière de la révélation masculine, tandis que son partenaire Guillaume Bouchède est retenu pour le meilleur comédien dans un second rôle. La critique parue dans le JDD du 17 mars :

Il est rare de croiser sur les planches des comédiens portant kippa, papillotes et franges rituelles. Comme presque tous les récits de l'écrivain et rabbin Chaïm Potok, injustement méconnu en France, l'intrigue s'ancre au sein de la communauté juive orthodoxe de Brooklyn. Au début des années 1950, la vocation artistique du petit prodige Asher bouleverse le quotidien de ses parents Aryeh et Rivkeh : qu'un hassid peigne des figures humaines frise déjà l'idolâtrie, mais qu'il représente des femmes nues et des crucifixions, c'en est trop ! Malgré les limites de l'exercice (condenser deux tomes de roman en une pièce de 1 heure 25), le trio d'interprètes nous livre, dans une mise en scène minimaliste, une réflexion magistrale sur le sens de la famille, la transmission, l'identité et le sacerdoce de l'art. ♦ Daoud Boughezala

Freud et la femme de chambre

Nassima Benchicou est nommée pour le Molière de la révélation féminine dans Freud et la femme de chambre, dont la « dernière » était jouée hier au théâtre Montparnasse. François Berléand, son partenaire dans la pièce, avait accordé un entretien au JDD en janvier, dans lequel il confiait sa passion pour son métier.

Passeport

Enfin, Passeport, la dernière création d'Alexis Michalik, nous avait un peu déçus, mais les comédiens de ce théâtre de troupe trépidant restent judicieusement choisis et impeccablement dirigés, et Kevin Razy a ainsi récolté une nomination amplement méritée pour le Molière du meilleur comédien dans un second rôle.

La liste complète des nominations de la cérémonie 2024, à consulter sur le site des Molières.