Entre la France et la Chine, la pomme de discorde de la voiture électrique

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Quand les constructeurs automobiles français et européens tournent leur regard vers le marché des panneaux solaires, ils entrevoient leur pire cauchemar. Le continent est inondé par les modules photovoltaïques chinois à prix cassé. Les fabricants du cru ferment leurs portes les uns après les autres. Et les enquêtes annoncées le mois dernier par la Commission de Bruxelles sur les subventions accordées par l'État chinois à son industrie des énergies renouvelables ne promettent pas la sortie de crise, loin s'en faut.

Au vu des enjeux économiques et sociaux, ni la France, ni l'Europe des Vingt-Sept ne veulent d'un futur aussi funeste pour leur industrie automobile. On parle d'un secteur qui, en 2021, employait dans l'Hexagone plus de 210 000 personnes pour la seule fabrication des véhicules et des équipements...

Quand les constructeurs automobiles français et européens tournent leur regard vers le marché des panneaux solaires, ils entrevoient leur pire cauchemar. Le continent est inondé par les modules photovoltaïques chinois à prix cassé. Les fabricants du cru ferment leurs portes les uns après les autres. Et les enquêtes annoncées le mois dernier par la Commission de Bruxelles sur les subventions accordées par l'État chinois à son industrie des énergies renouvelables ne promettent pas la sortie de crise, loin s'en faut.

Au vu des enjeux économiques et sociaux, ni la France, ni l'Europe des Vingt-Sept ne veulent d'un futur aussi funeste pour leur industrie automobile. On parle d'un secteur qui, en 2021, employait dans l'Hexagone plus de 210 000 personnes pour la seule fabrication des véhicules et des équipements automobiles. « On a un million de salariés qui travaillent de près ou de loin pour la filière, amont et aval », appuie Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie. Ce secteur est aujourd'hui en pleine mutation, contraint de monter en régime sur le véhicule électrique avant l'échéance de 2035, qui signera l'arrêt des ventes de voitures neuves à motorisation thermique dans l'espace européen - sauf reculade de l'UE d'ici là.

Dans ce contexte fragile, l'Europe vit mal l'essor des constructeurs chinois, tels BYD et MG, les champions des berlines électriques abordables pour le budget des classes moyennes. Leur débarquement en force, par cargos entiers, sur les parkings des ports des Vingt-Sept, tient une large place dans les tensions commerciales qui figurent au menu de la visite officielle de Xi Jinping en France. Comme un fait exprès, l'arrivée du despote coïncide avec un contrat de filière, établi par l'industrie automobile nationale en partenariat avec le gouvernement, et rendu public ce 6 mai.

« Il y a des distorsions de concurrence »

Le document vise clairement à contrer la menace de submersion du marché domestique par les véhicules électriques importés. Il en va de l'avenir des modèles produits dans l'Hexagone, comme la Peugeot E-3008, qui sort des usines Stellantis de Sochaux-Montbéliard (Doubs), et la Renault 5, assemblée à Douai (Nord). Économiste à l'Université de Bordeaux, spécialiste de l'industrie automobile, Bernard Jullien relativise : « Le véhicule électrique reste encore un marché étroit en Europe. Il n'est pas dominé à ce jour par les marques chinoises. Leurs parts de marché restent sous les 5 %, véhicules thermiques et électriques confondus. » Les voitures électriques représentent quelque 13 % des immatriculations.

« Le véhicule électrique reste encore un marché étroit en Europe. Il n'est pas dominé à ce jour par les marques chinoises »

Demain en revanche, les surcapacités chinoises risquent bel et bien de trouver un débouché en Europe, à l'heure où les États-Unis se hérissent de barbelés. En septembre dernier, la Commission européenne a lancé une enquête sur les subventions publiques chinoises aux automobiles électriques, subventions qui ont permis aux constructeurs nationaux d'engager une politique agressive de prix bas à l'export. « Il y a clairement des distorsions de concurrence au détriment des constructeurs européens. Il est légitime de se protéger comme le font les États-Unis. On peut même dire qu'il y a urgence à entrer dans une logique protectionniste, avec des droits de douane qui vont limiter la compétitivité des modèles chinois », poursuit l'expert.

Il y a urgence à entrer dans une logique protectionniste

Les droits de douane qui s'appliquent aux véhicules chinois entrant en Europe s'élèvent à 10 %. Si d'aventure ils étaient relevés, il y aurait d'évidence rétorsion chinoise. Ce sont principalement les modèles allemands haut de gamme qui en pâtiraient, d'où une énième divergence de vues entre Paris et Berlin sur cette question. Mais l'affaire est plus complexe, vu l'intrication industrielle Chine/Europe. La Dacia Spring, le modèle électrique de la marque low cost de Renault, est ainsi fabriquée en Chine. Comme les Tesla Model 3 commercialisées en Europe.

« BYD est le bienvenu en France »

La guerre commerciale pourrait être évitée par l'implantation des constructeurs chinois en France et en Europe, une garantie pour l'investissement et l'emploi industriel. Pour Bernard Jullien, c'est le sens de l'histoire. « Historiquement, on n'a pas durablement pris pied sur le marché automobile européen avec uniquement des véhicules importés. Dès que les volumes deviennent considérables, il faut avoir des usines là où on vend », indique-t-il en se référant aux investissements en Europe des constructeurs japonais et sud-coréens. Ce 6 mai, lors de la présentation du contrat de filière, Bruno Le Maire a fait chorus. « Nous n'avons eu qu'à nous féliciter de l'arrivée de Toyota », a jugé le ministre de l'Économie à propos de l'usine géante ouverte à Valenciennes (Nord) il y a plus de vingt ans. « BYD est le bienvenu en France et l'industrie automobile chinoise est la bienvenue », a-t-il poursuivi.

Cette solution n'épargnera toutefois pas l'industrie française et européenne. Le marché européen a représenté 12,8 millions d'immatriculations en 2023, dont 1,8 million de voitures particulières neuves en France. « Les surcapacités chinoises en Chine seront des surcapacités chinoises en Europe. Et dès qu'il y a surcapacité, c'est la profitabilité qui s'érode. Alors que les constructeurs chinois sont encore absents sur notre sol, le marché automobile présente déjà des surcapacités », prévient Bernard Jullien, qui rappelle que les constructeurs américains ont mis des années, voire des décennies, à se remettre de l'offensive de leurs homologues japonais. Ceux-ci ont produit en masse en Amérique du Nord à partir des années 1980.

« Les surcapacités chinoises en Chine seront des surcapacités chinoises en Europe »

Quelle que soit l'issue du match France/Europe/Chine sur le véhicule électrique, le Vieux Continent ne pourra pas s'affranchir de sitôt de sa dépendance technologique sur les batteries. « Quand bien même nous deviendrions protectionnistes, nous aurions encore besoin de la Chine. Même si nous investissons dans des gigafactories, comme Verkor et ACC », ajoute-t-il. La France vise la vente de 800 000 voitures électriques en 2027, une multiplication par (presque) trois. L'industrie nationale aura du mal à fournir le volume de batteries requis à cette date.