Derrière les castings sauvages, quelques carrières à succès mais beaucoup d'"acteurs kleenex"

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En allant chercher de futurs talents dans l'espace public, l'agent Dominique Besnehard a popularisé le casting sauvage en France. Des acteurs aussitôt renvoyés dans l'ombre, avec des conséquences parfois dramatiques.

Pauline à la plage, d'Éric Rohmer (1983), avec Amanda Langlet et Simon de La Brosse, casté dans la rue. Prod DB © Films du Losange /

Par Mathilde Blottière, Hélène Marzolf

Publié le 06 mai 2024 à 12h00

Mis à jour le 17 mai 2024 à 11h04

Repérer LA gueule : ça fait des décennies que le cinéma, en quête d'authenticité, fantasme sur l'homme ou la femme de la rue, débusqués dans la vraie vie, sur un trottoir, un zinc ou une piste de danse. Derniers exemples en date ? La sélection cette année à Cannes des films Diamant brut, d'Agathe Riedinger (compétition officielle), et Vingt Dieux, de Louise Courvoisier (Un certain regard), tournés avec des non-professionnels.

C'est Dominique Besnehard qui popularise le casting sauvage dès les années 1970, alors que la distribution des rôles, jusque-là assurée par les assistants, commence tout juste à devenir un métier. « Nous n'avions pas la même approche, note Françoise Ménidrey, l'une des premières directrices de casting. Je pensais qu'il fallait faire travailler des professionnels ; lui était persuadé que n'importe qui pouvait jouer la comédie. »

Alors assistant de Jacques Doillon et Maurice Pialat, Dominique Besnehard s'impose d'abord comme le spécialiste des enfants. C'est lui qui trouve les petits héros d'Un sac de billes, puis la fillette de La Drôlesse, repérée dans une salle de classe normande, auditionnée dans la cuisine de son baraquement en tôle. « L'idée d'être au bon endroit, le bon jour, à la bonne heure, de se dire que tout passant pouvait arrêter mon regard et avoir un rôle au cinéma […] était excitante », raconte-t-il dans son autobiographie Casino d'hiver (éd. Plon).

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Rebaptisé « le marchand de chair humaine » par Pialat, Besnehard révèle une génération d'acteurs. Lors d'un concert de Johnny Hallyday, il découvre Wadeck Stanczak, 21 ans, dont il fait l'un des jeunes premiers des films d'auteur des années 1980 (Rendez-vous, Le Lieu du crime, Désordre). Il lance Simon de La Brosse, serveur de restaurant de 16 ans, qui jouera chez Éric Rohmer (Pauline à la plage) ou Claude Miller (L'Effrontée, La Petite Voleuse). Et surtout Béatrice Dalle, 20 ans, aperçue en couverture du magazine Photo.

Des parcours fulgurants, pour certains éphémères : « J'ai été un peu responsable de ce que j'ai moi-même appelé les acteurs kleenex », écrit-il dans Casino d'hiver. Il mesure aujourd'hui la cruauté de cette période : « Les metteurs en scène étaient obsédés par l'idée de trouver leurs nouvelles égéries, et moi-même je trouvais ça grisant. Mais les castings sauvages ont fait émerger des acteurs et actrices pas vraiment formés. Ils se sont retrouvés subitement avec des rôles principaux et, sans bagages ni soutien, n'ont pas su durer. Ils ont gagné de l'argent très vite, et sont, pour beaucoup, tombés dans la drogue. »

À un moment, on avait l'impression de passer notre vie dans des enterrements.

Élisabeth Tanner

Ce sera le cas de Simon de La Brosse, qui se suicide à l'âge de 32 ans. Patrick Aurignac, propulsé à l'écran par Besnehard après une peine de prison pour braquage (Sale comme un ange, de Catherine Breillat, et À la folie, de Diane Kurys), va réaliser un film qui fera un bide, et finira lui aussi par se tuer. « Même si Dominique a fait tout ce qu'il a pu pour ces acteurs, il y a eu des drames, déplore Élisabeth Tanner, qui était alors son assistante. À un moment, on avait l'impression de passer notre vie dans des enterrements. »

Depuis, Besnehard a passé la main, et le casting sauvage s'est banalisé. Plusieurs stars ont été découvertes par des chasseurs de têtes, dans la rue (Romain Duris, Stanislas Merhar) ou au collège (Vincent Lacoste). Mais certaines success stories tournent court. Repéré pour le film Shéhérazade alors qu'il sort de prison, Dylan Robert obtient un César pour son rôle de jeune proxénète, avant d'être rattrapé par la délinquance et de retourner derrière les barreaux.

Aujourd'hui, une partie du milieu dénonce l'appétit du cinéma pour des profils si cabossés. « Jamais je n'accepterai d'aller chercher des gens dans des centres de détention ! assure la directrice de casting Sophie Lainé Diodovic. Prendre des acteurs non pros pour les faire jouer ce qu'ils sont dans la vie, c'est dangereux. On vient les chercher, on les dorlote pendant le tournage. Et après, plus personne ne prend de leurs nouvelles. » C'est ce que cherchent à éviter Romane Gueret et Lise Akoka. Ex-directrices de casting, elles ont mis en scène dans leur premier film (Les Pires, 2022) les questions que pose un tournage exploitant des enfants découverts lors de castings sauvages. « Nous avons vis-à-vis d'eux une responsabilité à long terme », avance Romane Gueret.

Deux ans après, elles veillent toujours sur Mallory Wanecque, leur tête d'affiche, découverte à la sortie d'un collège des Hauts-de-France. « Un peu comme des grandes sœurs, pour que le succès ne lui monte pas à la tête. » Car la jeune fille multiplie les films et s'apprête à fouler les marches de Cannes pour L'Amour ouf, de Gilles Lellouche. « Je me revois à 14 ans, explique-t-elle, le système scolaire ne me convenait pas. Je n'avais pas de bonnes fréquentations… Le cinéma est venu me prendre par le colback. Il m'a sauvée. »

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